Le soutien entre pairs, essentiel pour aider les migrants de retour à reconstruire leur vie en Afrique de l’Ouest
Afrique de l’Ouest
Histoire
Pendant des semaines, impossible pour Ismaila Badji de se résoudre à sortir de chez lui après son retour au Sénégal.
“J’ai échoué deux fois ; à l’école et sur la route », dit-il. “Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je cherche toujours la réponse.”
Après avoir passé du temps dans un centre de détention libyen, Badji est retourné au Sénégal. Il ne se sentait plus comme lui-même, manquait de motivation et était victime de la stigmatisation de la communauté locale.
C’est grâce à deux amis qui se sont promenés avec lui dans le quartier qu’il a pu surmonter ces défis. “C’est ainsi que j’ai pu réintégrer ma communauté,” se souvient-il.
Badji est l’un des nombreux jeunes d’Afrique de l’Ouest et centrale à entreprendre le dangereux périple pour rejoindre l’Europe, ne pas atteindre leur destination et à lutter pour rejoindre leur pays et reconstruire leur vie une fois rentrer. Pour eux, le soutien entre pairs est une partie essentielle du processus de retour.
Badji a rejoint le programme Migrants as Messengers (MaM) de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), qui défend une approche menée par les migrants de retour pour sensibiliser les membres de leurs communautés, afin de les aider à prendre des décisions informées sur la migration. Il a récemment lancé sa propre entreprise avicole et est maintenant un défenseur actif d’une migration sûre.
Le programme cherche également à développer des réseaux sociaux solides pour améliorer la santé et le bien-être des migrants de retour. Il rassemble déjà plus de 260 Volontaires MaM dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Les Volontaires partagent des informations fiables sur les itinéraires et les processus de migration et, récemment, sur le COVID-19.
“Au cours de notre voyage, nous avons acquis beaucoup d’expérience, nous avons fait face à beaucoup de choses et c’est souvent dans ces moments que nous mesurons l’importance de la solidarité entre les personnes… depuis notre retour, quand nous voyons des personnes dans le besoin, nous nous disons qu’il est de notre devoir de les aider,” a déclaré Diarra Kourouma de Guinée, Volontaire MaM et migrant de retour.
De nombreux jeunes d’Afrique de l’Ouest et centrale espèrent trouver une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs familles, quitte à tout risquer en prenant des routes extrêmement dangereuses vers l’Europe. Selon les données de l’OIM (juin 2020), 92% des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe depuis l’Afrique de l’Ouest et centrale sont des jeunes hommes de moins de 30 ans. Le manque d’emplois et d’opportunités et la forte pression familiale poussent un grand nombre de jeunes à migrer. Lorsqu’ils partent, ils espèrent atteindre leur destination, trouver un emploi et pouvoir envoyer de l’argent chez eux.
La réalité est que beaucoup d’entre eux n’arrivent jamais à leur destination et sont bloqués, abandonnés, voire maltraités et emprisonnés. Ces expériences douloureuses viennent s’ajouter à la stigmatisation dont ils sont victimes pour être rentrés les mains vides et font de la réintégration dans leurs communautés d’origine un défi. La honte, la culpabilité, une faible estime de soi et un sentiment de perte sont des réactions courantes chez les migrants de retour. Les soins psychosociaux sont vitaux pour eux. Un processus de réintégration assisté est un élément essentiel du voyage de retour.
“Je suis retourné en Guinée complètement dévasté par tout ce que je venais de vivre pendant mon voyage. Je ne voulais pas que quiconque connaisse mon histoire, que personne ne sache que je suis un migrant de retour. Je voulais simplement me cacher en silence,” confie Elhadj Mohamed Diallo, un migrant de retour en Guinée et Volontaire MaM. Diallo est désormais président de l’OGLMI, une organisation guinéenne de sensibilisation aux dangers de la migration irrégulière. Il explique comment le fait de mener des activités de sensibilisation l’a aidé et l’importance de lutter contre la stigmatisation à laquelle les migrants de retour sont confrontés lorsqu’ils rentrent dans leurs communautés d’origine.
“C’était l’occasion de reprendre confiance en mes capacités, mais aussi de prendre conscience du rôle que je peux jouer en partageant mon histoire avec les populations guinéennes ; J’ai compris que je pouvais aider à sauver des vies. Et cela a stimulé mon énergie,” a déclaré Diallo. “Quand nous rentrons chez nous, nous voulons plus que toute autre chose lutter contre la stigmatisation dont nous avons été victimes. Pour moi, cela signifie contribuer au développement de mon pays.”
Les Volontaires MaM rapportent que leur participation à ces groupes et le fait de jouer un rôle actif dans la communauté contribuent au rétablissement de leur vie. Les participants ont ainsi créé des associations, démarré leurs propres entreprises, repris les études et travaillé sur d’autres initiatives. Les Volontaires MaM ont notamment mené des discussions dans les marchés, les églises et les écoles, participé à des représentations théâtrale, musicale et de danse et collaboré avec les médias pour éliminer la stigmatisation et les barrières sociales et économiques auxquelles les migrants de retour sont souvent confrontés.
“À mon retour de Libye, j’ai eu du mal à être acceptée par ma famille,” explique Mariama Conté, 23 ans, étudiante en droit des affaires en Guinée et volontaire MaM.
“Aux yeux de mes parents, j’étais juste celle qui leur avait volé de l’argent pour partir et échouer sur les rives de la Méditerranée. C’est grâce à mon implication en tant que Volontaire que j’ai réussi à renouer avec eux. Quand ils m’ont vu m’engager dans des activités de sensibilisation, me battre pour empêcher d’autres jeunes filles de tomber dans les mêmes pièges que moi, ils ont compris que je pouvais être utile.”
Au cours des derniers mois, dans les sept pays où MaM est mis en œuvre, plus de 288 activités de sensibilisation ont été menées pour aider les communautés et les jeunes à faire face à la pandémie du COVID-19. Cela inclus des vidéos, des chansons, des panneaux d’affichage, des affiches, des bandes dessinées, des émissions de radio et d’autres activités communautaires — qui ont toutes été largement partagées à l’antenne, en ligne et par le bouche-à-oreille, atteignant plus de sept millions de personnes cette année.
Le défi “Stay Home and Dance” a encouragé les gens via une série de vidéos à rester à la maison pendant le confinement et a abordé les problèmes d’isolement social par le chant et la danse. Des volontaires guinéens ont accueilli les migrants de retour dans les centres de transit et un groupe de cinq rapatriés en Sierra Leone a créé la chanson «Together We Can Cope» pour renforcer le soutien et la solidarité dans la pandémie.
“Premièrement, je suis fier de faire partie d’un réseau qui aide à lutter contre le COVID-19 », a déclaré Abdul Sankoh, un volontaire MaM de Sierra Leone. «Deuxièmement, l’expérience m’a donné le sentiment de vouloir faire plus pour aider d’autres personnes en temps de crise ou d’urgence.»
Marilena Crosato, Responsable de l’engagement communautaire, Bureau régional de l’OIM pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, mcrosato@iom.int.